mardi 20 janvier 2015

Bis....


J'ai déjà écrit ce qui va suivre. Le nombre de mes lecteurs étant du genre microscopique, outre que ma modestie maladive peut paraître, par conséquent, superflue, je tenais néanmoins à le rappeler. Imaginons un fait divers : un enfant a été tué en traversant une rue par une auto. Si l'on se penche sur les circonstances, on s'aperçoit qu'il a, en vérité, manqué de chance, parce que, dans le flot continu de voitures qui circulaient à ce moment-là, une seule aura commis l'acte fatal. La mauvaise idée, si l'on veut faire une étude sociologique des circonstances de l'accident, comprendre pourquoi une communauté peut aboutir à un drame pareil, la mauvaise idée, c'est d'interroger le conducteur (ou la..) qui l'a commis. Il vous dira évidemment que ce n'est pas ce qu'il voulait, qu'il est désolé, qu'il n'y est pas pour grand chose, que c'est la faute à pas de chance.... Meilleure serait l'idée – je n'ai pas écrit que c'est la bonne – d'interroger tous les autres, tous ceux sur qui ça pouvait tomber, tous les conducteurs qui se trouvaient là au « mauvais moment ». Je suis prêt à parier ma chemise que, pour la plupart, ils n'auraient rien à dire d'autre que le malheureux sur qui c'est tombé. Au fond, s'ils n'ont pas écrasé le petit, c'est la faute «  à la chance ». Pour la plupart. Parce que je suis également prêt à parier que, parmi eux, il y en aurait au moins un qui affirmerait péremptoirement : je n'écrase pas les enfants !... Au moins un veut dire que, à mon sens, il seraient sûrement nombreux. Parmi eux, une majorité de gens un peu ( euphémisme volontaire) stupides qui, s'appuyant sur le fait que, factuellement, ce n'est pas à eux que c'est arrivé et, donc, qui en concluent trop rapidement qu'il n'y a pas de raison pour que ça ne continue pas. Une histoire de « bonne étoile ». Jusqu'à preuve du contraire. Evidemment, ceux-là vont aller écraser, un peu plus loin, un peu plus tard, la grand-mère qui traverse ou, pire, votre enfant. Mais, si vous avez un peu de chance, vous en trouverez au moins un (une …) qui, lui, n'écrasera effectivement jamais personne, chance ou pas. Et qui, donc, semble le seul habilité à l'affirmer. Théoriquement, votre premier réflexe devrait être de ne pas le croire plus que les autres et, devant son obstination, comme tout le monde, afficher un sourire narquois. Sauf que cette possibilité, en vérité, existe... Un homme est mort, récemment, dont le nom était Beltoise... Ce monsieur, après avoir été pilote de course, avoir connu quelques succès, a fini par consacrer sa vie à la sécurité routière. Sa devise n'était rien moins que : « on peut raisonnablement envisager un monde sans accidents de la route ». Sa théorie reposait sur le fait que, avec l'état de la technologie embarquée aujourd'hui dans les automobiles, ABS, Anti-patinage, direction assistée, on peut, si nous nous y mettons tous, éviter à peu près tous les cas les plus fréquents d'accidents. A une condition. Qu'on comprenne, avant toute chose, que cela dépend de nous. Que nous devons nous familiariser avec la notion de « vigilance ». Un exemple : une voiture s'arrête, vous êtes à vélo... la première idée qui doit vous traverser l'esprit est que la porte du conducteur va s'ouvrir. Un bus s'arrête à son arrêt, la première idée est : un enfant va surgir de devant le bus. Vous voyez, de loin, les feux arrière d'une auto s'allumer, la première idée est : sans freiner, parce que c'est dangereux, ralentir et accroître la distance entre vous et la voiture qui vous précède. Je vais cesser ici la liste. Elle est encore longue. Normalement, vous vous dites que, finalement, peut-être, pourquoi pas. Sauf les intégristes du hasard qui, eux, ne bougeront pas. C'est du flan, on peut pas savoir. Les autres, ceux qu'on peut faire douter, eux, acceptent mais se demandent : certes ! Mais vous allez où, là ? Et là, parce qu'on est entre nous, je réponds direct : Antigone. Ceux qui ont compris, et il y en a forcément, peuvent reprendre leurs activités. Pour les autres, s'il y en a, je vais donc expliciter. Antigone, comme le « Petit Prince », sont des icônes du bon sentiment. Il est séant, conforme, d'admirer Antigone, la représentation que nous en avons aujourd'hui, pour sa capacité à dire « non ». Si l'on fouille parmi le public qui adore ce « non », on tombe, comme pour l'accident, sur une masse énorme de gens qui, d'une part, ne diront jamais non eux-mêmes et, d'autre part, ne pourront jamais, si vous les isolez du groupe avec lequel ils disent non, vous donner une raison valable et étayée de dire « non ». Bien entendu, ils ne changeront rien à leur vie et retourneront dire « non » dans la rue, sur un autre sujet, la prochaine fois qu'on leur en suggérera l'idée. Parmi les autres, des gens plus déterminés qui, eux, diront toujours « non » à bon escient et, surtout, sauront toujours vous expliquer pourquoi il faut dire « non ».

Le 11 janvier 2015, beaucoup de gens sont descendus dans la rue pour dire « non ». Parmi eux, très peu savent effectivement pourquoi il fallait, là, dire « non ». Ils n'étaient pas tous Charlie, hélas. Car, les cinq morts de Charlie, eux, bien qu'étant les plus charmants des humains, n'avaient ni la candeur virginale d'Antigone ni la fraîcheur infantile du Petit Prince, tous deux recouverts du voile de l'innocence, qui est un résidu de la tradition chrétienne du regret éternel du paradis originel. De bons sentiments – discutables, à mon sens - que partageaient, hélas, presque tous les gens qui défilaient. Eux, à Charlie, et ce n'est pas si fréquent qu'on le croit, même si l'on s'est solidarisé, même si nous avions l'air tous unis, eux, ils savaient pourquoi on doit dire « non ». Ils connaissaient les enjeux, ils l'on pourtant dit et ils en sont morts. Eux, ils sont morts et, nous, on défile.

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