mercredi 18 mai 2016

Monsanto


En théorie, je ne devrais étonner personne en rappelant que je suis pêcheur à la mouche. Pêcher à la mouche, c’est avant tout revêtir des « pantalons de pêche » qui permettent de marcher dans les rivières jusqu’à une profondeur d’environ un mètre vingt. Ce jour-là, dans les Pyrénées, la rivière faisait plus d’un mètre vingt et la berge était barrée par un barbelé, ce qui m’interdisait de remonter plus avant la rivière. Sans mon fichu pantalon en caoutchouc, j’y serais parvenu en me glissant en-dessous mais, là, rien à faire. Je suis donc remonté jusqu’à la route proche et ai remonté sur icelle ce que je ne pouvais parcourir dans l’eau. Après une vingtaine de mètres, je suis tombé sur un paysan qui bricolait autour d’une masure en pierre et ancestrale. Son tracteur, dont le moteur tournait, était garé là et, de la remorque, un truc qu’on appelle une « tonne », une citerne de mille litres, giclait un jet blanchâtre qui se répandait sur le sol cependant qu’il versait dedans, à l’aide d’un tuyau branché sur une pompe reliée à son moteur de tracteur, l’eau qu’il puisait dans la rivière toute proche. Le brave homme portait un masque. L’eau qui coulait de sa remorque faisait, en arrivant sur le sol, un tapis de mousse assez peu ragoûtant. Manifestement, il vidangeait. Mais quoi ? Je le lui ai demandé. C’était culotté. Il s’est approché. Ses bras, ses jambes, recouvertes, elles, d’un pantalon, ses épaules, son crâne, étaient pleins de cette mousse jaunâtre assez inquiétante. Je lui ai demandé. C’était du désherbant. J’ai vu les sacs éventrés, ceux qui avaient contenu le produit sous forme de poudre. Dessus, c’était écrit « Monsanto ». Il en était couvert. J’aurais pu lui demander s’il était conscient de ce qu’il était en train de faire. Lui parler de sa santé, de la rivière, dans laquelle son produit s’en allait doucement, des truites, j’aurais pu. Mais, le voyant, couvert du produit mortel, en mousse, liquide, en poudre, j’ai pensé que ce n’était pas la peine d’en rajouter. La première victime, ça allait forcément être lui. Les seules questions qui restaient en moi étaient simplement : comment ce type est-il fait, qu’est-ce qu’on lui a raconté, quelles fables, dans quels problèmes s’est-il fourré pour en arriver là ? Je n’avais même pas envie de lui parler de ma rivière ou des truites. J’espère sincèrement que cet homme est, aujourd’hui encore, en bonne santé. Même si je suis sûr que non. J’ai remonté un peu, suis redescendu dans la rivière, ai pu observer, de plus haut, la mousse abondante qu’il y versait et suis reparti à la pêche. Aujourd’hui, quelques années plus tard, j’ai acquis la conviction que Mr Monsanto savait, à cette époque, que cet homme était tout simplement en train de tuer. Lui-même autant que la nature dont il se nourrissait.

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