En théorie, je ne devrais étonner
personne en rappelant que je suis pêcheur à la mouche. Pêcher à
la mouche, c’est avant tout revêtir des « pantalons de
pêche » qui permettent de marcher dans les rivières jusqu’à
une profondeur d’environ un mètre vingt. Ce jour-là, dans les
Pyrénées, la rivière faisait plus d’un mètre vingt et la berge
était barrée par un barbelé, ce qui m’interdisait de remonter
plus avant la rivière. Sans mon fichu pantalon en caoutchouc, j’y
serais parvenu en me glissant en-dessous mais, là, rien à faire. Je
suis donc remonté jusqu’à la route proche et ai remonté sur
icelle ce que je ne pouvais parcourir dans l’eau. Après une
vingtaine de mètres, je suis tombé sur un paysan qui bricolait
autour d’une masure en pierre et ancestrale. Son tracteur, dont le
moteur tournait, était garé là et, de la remorque, un truc qu’on
appelle une « tonne », une citerne de mille litres,
giclait un jet blanchâtre qui se répandait sur le sol cependant
qu’il versait dedans, à l’aide d’un tuyau branché sur une
pompe reliée à son moteur de tracteur, l’eau qu’il puisait dans
la rivière toute proche. Le brave homme portait un masque. L’eau
qui coulait de sa remorque faisait, en arrivant sur le sol, un tapis
de mousse assez peu ragoûtant. Manifestement, il vidangeait. Mais
quoi ? Je le lui ai demandé. C’était culotté. Il s’est
approché. Ses bras, ses jambes, recouvertes, elles, d’un pantalon,
ses épaules, son crâne, étaient pleins de cette mousse jaunâtre
assez inquiétante. Je lui ai demandé. C’était du désherbant.
J’ai vu les sacs éventrés, ceux qui avaient contenu le produit
sous forme de poudre. Dessus, c’était écrit « Monsanto ».
Il en était couvert. J’aurais pu lui demander s’il était
conscient de ce qu’il était en train de faire. Lui parler de sa
santé, de la rivière, dans laquelle son produit s’en allait
doucement, des truites, j’aurais pu. Mais, le voyant, couvert du
produit mortel, en mousse, liquide, en poudre, j’ai pensé que ce
n’était pas la peine d’en rajouter. La première victime, ça
allait forcément être lui. Les seules questions qui restaient en
moi étaient simplement : comment ce type est-il fait, qu’est-ce
qu’on lui a raconté, quelles fables, dans quels problèmes
s’est-il fourré pour en arriver là ? Je n’avais même pas envie
de lui parler de ma rivière ou des truites. J’espère sincèrement
que cet homme est, aujourd’hui encore, en bonne santé. Même si je
suis sûr que non. J’ai remonté un peu, suis redescendu dans la
rivière, ai pu observer, de plus haut, la mousse abondante qu’il y
versait et suis reparti à la pêche. Aujourd’hui, quelques années
plus tard, j’ai acquis la conviction que Mr Monsanto savait, à
cette époque, que cet homme était tout simplement en train de tuer.
Lui-même autant que la nature dont il se nourrissait.
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